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BlackRock : puissance financière, technologie
& influence

Temps de lecture : 11 min

BlackRock, fondée en 1988, est devenue en l’espace de quelques décennies l’un des acteurs les plus redoutables du monde financier. À travers sa plateforme technologique Aladdin, son poids colossal en matière de gestion d’actifs et son lobbying actif, l’entreprise suscite autant d’admiration que de vives inquiétudes.
Cet article propose un tour d’horizon sans complaisance de son histoire, de ses mécanismes d’influence et de ses conséquences pour l’avenir économique mondial, notamment en Afrique.

Historique de BlackRock

Origines et fondateurs : BlackRock naît en 1988 sous le nom de Blackstone Financial Management. Elle est fondée par Larry Fink, Robert S. Kapito et Susan Wagner, anciens de First Boston et Lehman Brothers.
Séparation d’avec Blackstone : Rapidement, l’entité prend son indépendance pour devenir BlackRock.
Croissance fulgurante : Depuis lors, la société a vu ses actifs sous gestion exploser, jusqu’à devenir le premier gestionnaire d’actifs au monde. En 2024, BlackRock a atteint un niveau record de 11,6 trillions de dollars d'actifs sous gestion, avec des entrées nettes de 641 milliards de dollars sur l'année.

Lobbying et influence politique

BlackRock ne se contente pas de gérer des capitaux, elle agit également comme un acteur politique indirect :
Aux États-Unis : En 2023, BlackRock a dépensé 1,86 million de dollars en lobbying fédéral, principalement dans les secteurs des investissements et de l’énergie renouvelable
En Europe : Participation active aux discussions sur la finance durable, notamment autour des critères ESG (Environnement, Social, Gouvernance). Son rôle de consultant dans les négociations de l’Union européenne nourrit le soupçon d’un conflit d’intérêts.
Critiques majeures : Cumul des casquettes, BlackRock cumule plusieurs rôles, en tant que gestionnaire d’actifs, fournisseur de technologies via Aladdin et acteur d’influence politique. L’entreprise investit également dans des secteurs controversés, tels que les énergies fossiles ou les infrastructures polluantes, ce qui suscite des soupçons de «greenwashing».

Aladdin : cœur technologique et cerveau invisible

Aladdin Asset, Liability, Debt and Derivative Investment Network incarne la puissance technologique de BlackRock.
Origine : Initialement conçue en interne dans les années 1980-1990 pour modéliser les risques et gérer les portefeuilles.
Fonctionnement :
- Centralisation et analyse de données financières massives.
- Simulations de scénarios, stress tests, évaluation des expositions aux risques.
- Utilisation d’algorithmes avancés, d’historiques de données et désormais d’intelligence artificielle.
Poids mondial :
- Aladdin surveillerait des dizaines de milliers de portefeuilles, représentant plusieurs milliers de milliards de dollars d’actifs, soit une part non négligeable de la finance mondiale.
Limites et risques :
- Uniformisation des modèles de risque, favorisant une contagion globale en cas de crise.
- Opacité algorithmique : décisions peu transparentes, dépendance excessive à des modèles prédéfinis.
- Réduction de l’autonomie humaine : les analystes dépendent de plus en plus des simulations automatisées.

Impact sur le monde et sur la finance & investissement

Les effets de BlackRock, et en particulier d’Aladdin, sont multiples positifs pour certains, préoccupants pour d’autres.
Effets positifs
- Efficacité et réduction des coûts : Les technologies permettent une gestion plus structurée, des analyses plus rapides et souvent moins coûteuses que par pure force de travail humaine.
- Gestion des risques plus rigoureuse : Grâce aux stress tests, simulations, prévisions, les portefeuilles sont potentiellement mieux protégés contre certains chocs.
- Accroissement de l’accès aux marchés : Via les ETF (fonds indiciels) ou produits passifs, BlackRock permet à des investisseurs diversifiés, y compris institutionnels modestes, de diversifier leurs placements.
Effets préoccupants
- Concentration du pouvoir : Avec des centaines ou milliers de milliards de dollars gérés, BlackRock exerce une influence sur les entreprises dans lesquelles elle est actionnaire, directement ou indirectement. Cela donne un pouvoir aux voix qu’elle détient aux assemblées générales d’actionnaires, aux directives ESG, etc..
- Risque systémique : Si Aladdin ou une technologie similaire échoue (bug, mauvaise modélisation, hypothèses erronées), les conséquences peuvent être globales, compte tenu de la taille de ce que l’on appelle les actifs sous gestion ou surveillés.
- Érosion potentielle de la diversité décisionnelle : Moins d’analystes indépendants, plus de décisions basées sur les mêmes données, mêmes modèles et mêmes tendances de marché.

Implantation en Afrique

BlackRock ne se limite pas aux seules places financières occidentales ; elle étend progressivement son influence et ses investissements sur le continent africain.
Investissements sectoriels : Infrastructures, énergie, matières premières constituent les domaines privilégiés d’investissement. Ces secteurs sont souvent stratégiques pour les États africains.
Dette souveraine : En certains cas, BlackRock acquiert de la dette souveraine de pays africains, devenant ainsi créancier ou détenteur significatif, ce qui lui confère un certain pouvoir sur les politiques économiques.
Influence indirecte sur la gouvernance : Par sa participation financière, ses conseils, voire sa capacité à imposer certaines clauses ou attentes (ex. performances ESG, transparence), elle peut influencer les choix des gouvernements ou des entreprises locales.
Risques pour l’Afrique :
- Dépendance vis-à-vis des capitaux étrangers : les décisions nationales peuvent devenir conditionnées par ce que souhaitent les investisseurs externes.
- Souveraineté remise en question : politique économique ou choix de développement pouvant être modifiés pour plaire aux investisseurs, par exemple dans l’énergie, l’environnement, etc..
- Potentiel déséquilibre : les profits générés peuvent ne pas toujours rester localement si la structure des contrats ou des participations favorise les investisseurs étrangers.

Vers quel monde avec ce type d’entreprise

Le modèle BlackRock + Aladdin (gestion massive d’actifs + technologie sophistiquée + influence politique) trace déjà un paysage dont voici les traits probables, s’ils se renforcent :
Technocratie financière accrue
Les décisions économiques seront de plus en plus dictées non seulement par les États ou politiques élus, mais par des modèles, des simulations, des données, des logiciels. Ceux qui contrôlent les données ou les algorithmes auront un avantage. Le pouvoir économique et financier se superposera de plus en plus à la capacité technologique.
Uniformisation des pratiques de gestion et des normes
L’ESG, les critères de durabilité deviennent des standards, mais leur définition reste variable. Les grandes plateformes imposent, ou incitent fortement, à adopter ces critères. Cela peut être positif, mais aussi dangereux si les critères servent davantage de vitrine que de réel changement.
Accent sur la gestion passive, la réduction des coûts
Les investisseurs y compris les particuliers pourraient accepter une automatisation accrue, une gestion plus robotisée. Cela pourrait réduire la place des analystes humains, mais aussi la recherche fondamentale indépendante. Le risque est que les bulles ou les anomalies de marché passent plus difficilement détectées.
Régulation accrue ou résistance à une telle concentration
Face aux risques (systémiques, de conflits d’intérêts, d’influence politique), les États et institutions de régulation pourraient imposer de nouvelles lois. On observe déjà des appels en ce sens, par exemple pour que BlackRock vende ou sépare certaines activités, ou interroge de manière critique sa responsabilité dans le climat ou les droits humains.
Chance ou menace pour le développement dans les pays moins puissants
Pour l’Afrique, l’Asie ou d’autres régions, ce modèle peut apporter capitaux, savoir-faire, infrastructures. Mais il présente aussi la menace que les priorités locales soient sacrifiées, que les décisions d’investissement soient plus dictées par le retour sur capital que par les besoins sociaux ou environnementaux.

BlackRock est un phénomène du XXIᵉ siècle. Rarement une entreprise privée aura eu un poids aussi étendu, non seulement financier, mais aussi politique et technologique. Sa plateforme Aladdin symbolise cette convergence de la donnée, de l’algorithmique, de la gestion des risques et du contrôle.
Ce qui est certain : BlackRock a transformé la gestion d’actifs. Le passage à l’échelle, l’intégration des données, le recours aux algorithmes, tout cela est déjà réalité.
Ce qui reste incertain : jusqu’où ira l’influence politique légitime et/ou inquiétante de BlackRock ? Quels seront les effets à long terme de la dépendance envers des plateformes comme Aladdin ?
Comment les sociétés civiles, les États, les régulateurs y répondront-ils ?

Pour l’Afrique, il est essentiel de peser le pour et le contre : accueillir les investissements, mais aussi préserver la souveraineté, l’intérêt public et veiller à ce que les bénéfices économiques profitent aux populations.


À l’image d’Aladin et de sa lampe magique, BlackRock a façonné son propre artefact : Aladdin, un outil aux pouvoirs financiers presque infinis. Comme le génie qui exauce les vœux, il peut faire apparaître richesses, opportunités et perspectives nouvelles. Mais une telle puissance, fascinante et redoutable, soulève une interrogation essentielle : dans ce monde façonné par l’algorithme, qui tient véritablement la lampe, et à quels désirs collectifs ou privés sera-t-elle vouée ?


~ Rédigé par : Abd.essamad AARAB